« Il » est né avec une « ambiguïté sexuelle ». Son corps présente à la fois des attributs du féminin et du masculin : il ne produit pas d’hormone sexuelle, il n’a pas d’ovaires ni de testicules mais un « vagin rudimentaire » et un « micro-pénis ». Le certificat médical fourni au tribunal évoque une « intersexualité ». En raison de son « droit à la vie privé », le TGI de Tours a donc décidé, dans un jugement du 20 août révélé par le journal 20 minutes mercredi 14 octobre, que l’état civil de M. X, qui lui attribuait depuis 65 ans un sexe masculin, devait être rectifié et désormais comporter une « mention neutre »

Selon l’AFP, « environ 200 bébés naissent chaque année en France atteints d’une malformation génétique du développement sexuel », soit une naissance sur 4 000. Mais la réalité est plus compliquée car tout dépend du périmètre retenu pour établir ces données. « Il n’existe aucune statistique complète et fiable sur le nombre exact de naissances de personnes présentant une variation du développement sexuel », selon un rapport d’information du Sénat, publié en février 2017.

Faut-il prendre en compte à l’état civil cette ambiguïté sexuelle en s’écartant de la distinction binaire jusqu’ici communément admise ? Il est vrai que l’article 57 du code civil n’évoque pas formellement l’obligation de faire un choix. Seule une circulaire sans opposabilité juridique prévoyait d’éviter de porter l’indication de sexe « indéterminé » dans l’acte de naissance et de s’en remettre à l’analyse médicale la plus probante. C’est pour cette raison que le tribunal de grande instance de Tours, dans sa décision du 20 août 2015, avait estimé qu’aucun obstacle juridique majeur ne se heurte à la substitution, en précisant que la « rareté de la décision ne remet pas en cause la division ancestrale de binarité des sexes » (TGI Tours, 20 août 2015). Cette position avait été condamnée par la cour d’appel d’Orléans, dont l’argumentaire est repris par la Cour de cassation (Orléans, 22 mars 2016, n° 15/03281, D. 2016. 1915).

C’est dire que la décision était attendue. Pourtant, la motivation est curieuse :

Et attendu que, si l’identité sexuelle relève de la sphère protégée par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l’état civil poursuit un but légitime en ce qu’elle est nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur ; que la reconnaissance par le juge d’un “sexe neutre” aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination.

À les lire, les magistrats n’auraient donc pas le pouvoir de créer de nouvelles mentions existantes alors même que les faits démontrent que la distinction sur laquelle elle repose naît d’une fiction juridique, que certains auteurs voient, à juste titre, comme un « paradigme difficile à défaire » (v. B. Moron-Puech, L’identité sexuée des personnes intersexuées, préc.). Paradigme français puisque plusieurs pays, dont l’Allemagne (2013) – le premier pays en Europe –, l’Australie (2014), les Etats-Unis, ainsi que le Népal, ont reconnu le sexe neutre.